samedi 4 avril 2020

Une septantaine de philosophes, historiens, sociologues et juristes mettent en garde Sophie Wilmès contre le risque d'une politique peu démocratique en temps de lutte contre le coronavirus.


"Restez à la maison". Cela fera bientôt trois semaines que l'injonction tourne en boucle. Nous lavons entendue de votre bouche, Madame la Première ministre, ou de celle de vos collègues ; nous l'avons entendue à la radio, lue dans la presse, sur les réseaux sociaux, et même désormais sur nos téléphones qui nous rappellent à tout moment de ne pas nous attarder dehors. Nous l'avons suivie, nous, les Belges, cette injonction, massivement même, et nous aurions pensé que vous vous en seriez réjouie, Madame Wilmès, lorsque la géolocalisation de nos mouvements vous l'a confirmé.
Sans doute n'était-ce pas suffisant. Ce 27 mars, après avoir prolongé les mesures de confinement, vous nous rappeliez nos responsabilités individuelles et collectives. Vous évoquiez, Madame Wilmès, l'esprit de solidarité, si nécessaire en temps de crise. C'est vrai, cela avait quelque chose d'ironique de vous entendre parler de responsabilités individuelles et collectives, et même de solidarité, lorsque nous connaissions la politique sociale dont vous et vos proches collègues aviez fait la promotion durant des années.
Certains d'entre nous, Madame Wilmès, ont regretté de ne pas vous entendre parler de vos propres responsabilités dans la crise. Au contraire, peu après votre allocution du 27 mars, ce sont plutôt des condamnations qui ont jailli de la bouche de vos collègues. Trop d'entre nous, manifestement, se montraient inconscient.e.s du danger, à se promener dans des parcs ou à s'asseoir sur des bancs. Il n'en fallait pas plus pour déclencher insultes et appels à la délation, ni pour alourdir le climat pesant dans lequel nous vivons. Or, Madame Wilmès, nous qui avons dû renoncer jusqu'à la liberté élémentaire de circuler, le danger, sachez que nous en sommes conscient.e.s. Il est désormais omniprésent dans nos vies.
Pour une grande partie de la population, le danger ne réside pas tant dans la maladie que dans le risque de ne pas boucler les fins de mois, voire pour certains de ne pas manger. Le danger se situe dans la recherche impossible d'un emploi, dans l'incapacité matérielle ou technique d'accompagner la scolarité de ses enfants et dans le fait de les voir prendre un retard difficilement rattrapable. Le danger se situe dans les coups que prennent des femmes et des enfants dans cette situation d'enfermement généralisé. Le danger se situe dans l'isolement des personnes en détresse psychologique, sans parler de la situation intenable des toxicomanes, travailleur.euse.s du sexe, détenu.e.s, sans-papiers, demandeur.euse.s d'asile ou SDF, pour lesquels l'assistance s'est réduite comme peau de chagrin. Parce que, oui, Madame Wilmès, nous n'avons pas tous la chance en Belgique de vivre le confinement de la même manière. Vous devez le savoir, certains n'ont même pas l'occasion de se protéger et ne peuvent s'arrêter de travailler pour nous : ceux-là sont dehors en ce moment même, pris entre vos injonctions contradictoires. Mais une fois encore, nous avons fait bloc derrière vous. C'était un mal nécessaire, la seule solution apparemment, et nous vous avons crue.
Comme vous nous y avez enjoints, nous nous sommes "responsabilisé.e.s". Nous avons pris soin de nous-mêmes, en même temps que nous prenions soin des autres. Nous avons pris le relais des autorités en fabriquant des masques, en contribuant à l'achat de respirateurs ou en nous occupant des oubliés. À certains moments, nous ne vous le cachons pas, nous nous sommes senti.e.s totalement démuni.e.s devant l'immensité d'enjeux que seul un État et son système de sécurité sociale sont censés affronter.
Il y a quelques jours, des voix se sont d'ailleurs élevées . Ces voix n'étaient pas celles du peuple confiné, mais celles de dizaines de médecins catastrophés par la gestion belge de la crise. Il apparaissait que la Belgique avait suivi bien trop tardivement les recommandations de dépistage massif de l'OMS, qui précédaient pourtant l'imposition du confinement par le gouvernement. Ces médecins regrettaient aussi, Madame Wilmès, le renforcement abusif des répressions policières, jugées disproportionnées. D'autres voix se sont levées pour dénoncer les sous-investissements actuels, alors que les pouvoirs spéciaux vous permettaient de réquisitionner quantité de moyens. Nous avons lu que des commandes de masques avaient été annulées sans aucune justification de votre part. Cette semaine encore, au plus fort de la crise qui vous a propulsée à la tête d'un gouvernement provisoire, nous apprenons que les opérateurs téléphoniques, ceux-là mêmes à qui vous avaient transmis nos données de localisation, lancent le réseau 5G dans notre pays, en l'absence de tout contrôle démocratique.
Le 29 février dernier, l'OMS n'identifiait pas seulement comme mesure essentielle de lutte anti-infectieuse l'élaboration de politiques sur l'identification précoce et l'orientation des cas suspects. Elle enjoignait également les autorités à "fournir à la population des lignes directrices claires, actualisées, transparentes et cohérentes et des informations fiables sur les mesures de quarantaine".
Vous voyez, Madame la Première ministre, il est évident que nous avons besoin de représentant.e.s capables de gérer cette crise. À certains égards, vous avez rempli le rôle de guide, investie des pouvoirs spéciaux au nom desquels nous avons été contraints de remettre nos libertés entre vos mains. Néanmoins, nous craignons qu'un gouvernement opaque, autoritaire et contradictoire, sujet aux divers cafouillages mis en exergue par la presse et le corps médical, loin de servir la cause, finisse par mettre à mal l'engouement des citoyens à faire bloc, menace l'équilibre de notre pays et in fine la démocratie pour laquelle tant de personnes ont lutté. Ainsi, nous vous demandons, Madame la Première ministre, allez-vous risquer de laisser une crise démocratique et sociale prendre le pas sur la crise sanitaire ? De nombreuses voix s'élèvent aujourd'hui. Entendez-les et rendez à ce pays les conditions du débat ouvert, pluriel et informé dont il a besoin pour surmonter cette épreuve.
COMMENTAIRE DE DIVERCITY
« RENDEZ A CE PAYS LES CONDITIONS DU DEBAT OUVERT, PLURIEL ET INFORME DONT IL A BESOIN POUR SURMONTER CETTE EPREUVE. »
 
Ils/elles sont septante à avoir cosigné ce texte qui exprime clairement les préoccupations de la majorité des citoyens belges  que Kroll résume en un dessin assassin. On en vient à se demander après avoir pris connaissance des 100 questions de Peter Piot, l'un des plus célèbres virologues au monde, quand nous sortirons de ce confinement forcé et surtout comment,  en quel état psychologique mais aussi politique, social et financier. Les Belges sont inquiets comme jamais  mais pas tous… « Un Belge sur deux estime l’action du gouvernement insuffisante »
 Les préoccupations des Belges seraient similaires à celles des citoyens de huit autres pays européens, selon un sondage de Yougov.
Cette surprenante et inquiétante demande d’un durcissement de l’exécutif s’exprime au moment ou le Premier ministre hongrois  Viktor Orbán prend prétexte de la menace, réelle, que représente l’épidémie de Covid-19 pour y apporter une réponse disproportionnée qui cible davantage l’état de droit que le coronavirus. "Désormais, la Hongrie est une dictature formelle." Professeur de droit européen à l’Université du Middlesex, Laurent Pech ne mâche pas ses mots pour expliquer les conséquences du texte adopté par le Parlement hongrois, qui donne au Premier ministre, Viktor Orban, le pouvoir de légiférer par ordonnances dans le cadre d’un état d’urgence à durée indéterminée. "Un régime dans lequel le pouvoir parlementaire est suspendu, dans lequel le pouvoir exécutif peut faire ce qu’il veut - changer les lois, les abroger sans contrôle législatif - et dans lequel le pouvoir judiciaire est neutralisé - sauf la Cour constitutionnelle qui est en fait capturée par le régime d’Orban depuis 2013 -, il ne reste plus aucun contre-pouvoir. L’exécutif est libre de toute contrainte. Si ça, ce n’est pas une dictature, je ne sais pas ce que c’est", souligne ce spécialiste de l’état de droit dans l’UE.
« À certains moments », insistent les septante : «  nous ne vous le cachons pas, nous nous sommes senti.e.s totalement démuni.e.s devant l'immensité d'enjeux que seul un État et son système de sécurité sociale sont censés affronter. »
Le couple bon enfant Stan Laurel et Olivier Hardy dans sa version féminine  Maggie De Block/Sophie Wilmès a quelque chose de rassurant certes ; il n’empêche que le serrage de vis gouvernemental, assurément nécessaire, n’est pas du tout pour nous rassurer à moyen terme.
MG 




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